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Une séance de questions sur les soins aux personnes ayant un trouble neurocognitif avec Sharon Hunter, proche aidante et porte-parole

Janvier 2023 

Entrevue menée par Celeste Pang  

Sharon Hunter (elle) est porte-parole et proche aidante. Elle a œuvré comme conseillère, facilitatrice, formatrice et éducatrice dans une variété de domaines, notamment les enjeux 2SLGBTQ+. Sharon a été une ressource clé pour les entrevues concernant la recherche sur les troubles neurocognitifs à début précoce menée par la société Alzheimer du Canada, influençant les travaux sur la stigmatisation des troubles neurocognitifs et les priorités en matière de défense des droits au niveau intersectionnel.

Q : À quel moment votre parcours en lien avec les troubles neurocognitifs et les soins associés a-t-il commencé? 

S : On peut penser qu’il s’agit d’une question facile. La plupart des parcours ont un début défini et identifiable, mais le cheminement en lien avec un trouble neurocognitif, du moins le nôtre, est très complexe. Il y a de cela quelques années, j’ai commencé à remarquer certaines choses, mais ma partenaire s’en moquait un peu. Par exemple, elle empruntait un chemin étrange pour revenir à la maison en voiture et quand je lui demandais où l’on allait, elle répondait simplement qu’elle prenait la route panoramique.  Parfois je me demandais si elle avait eu un AVC. J’en ai parlé à sa médecin, mais rien n’apparaissait sur les tests. Puis, il y a eu une semaine où deux choses vraiment horribles sont arrivées avec deux de nos enfants. Après ces événements, on aurait dit qu’un mur commençait à s’effondrer; émotionnellement et cognitivement, elle s’est juste écroulée et elle avait du mal à composer avec la vie quotidienne.

La force du déni est tellement puissante. J’aurais voulu que ce soit tout sauf un trouble neurocognitif. Elle a reçu un diagnostic en novembre 2020, à l’âge de 65 ans, ce qui est considéré un début précoce. C’est à ce moment que j’ai compris que nous avions commencé ce parcours et que nous avions passé le point de non-retour.

Q : Quel a été votre plus important défi en tant que proche aidante pour votre partenaire? 

S : Tout d’abord, de la voir disparaître jour après jour et de ne rien pouvoir faire pour arrêter ce processus. C’est comme regarder une personne qui se noie et être incapable de l’aider.

Les comportements liés au trouble neurocognitif ont eu des répercussions négatives sur nos relations, entre nous et avec les autres. Nous ne nous reconnaissions plus. C’était très difficile. J’ai aussi remarqué des répercussions négatives sur notre relation avec nos enfants et nos petits-enfants, nous isolant encore davantage. Certaines personnes ont été fantastiques et nous ont apporté du soutien, tandis que d’autres n’étaient pas solidaires du tout. C’était un parcours jalonné par les deuils, à mesure que des changements s’opéraient dans notre réseau social.

Le fait de devoir soudainement prendre toutes les décisions a aussi été compliqué : sa santé, ma santé, la maison, le jardin, la famille, les relations, les finances… Je suis devenue responsable de tout. Je ne souhaite pas minimiser l’expérience de qui que ce soit, mais parfois, j’avais presque l’impression d’être une veuve. Comme si ma partenaire était décédée et que toutes les responsabilités me revenaient, alors qu’elle était encore bien en vie… c’était vraiment difficile. Je ressentais une grande colère et une grande amertume par rapport à la direction que prenait notre parcours en lien avec le trouble neurocognitif. Je ne voulais pas faire ce cheminement.

Et puis, les problèmes systémiques sont arrivés, comme le manque de soutien dans le système de santé. L’homophobie et l’hétéronormativité ajoutaient une charge supplémentaire aux difficultés déjà présentes dans cette nouvelle façon de fonctionner. Avant cela, nous avions atteint un seuil où nous étions aussi protégées contre l’homophobie que possible. Je sentais que le fait de devoir composer avec l’homophobie prenait énormément d’énergie, et je me sentais déjà trop vidée pour m’impliquer dans la défense et la revendication des droits, car la gestion du trouble neurocognitif constituait déjà une tâche extrêmement éprouvante.

Q : Est-ce qu’il y a eu des moments plus positifs, ou était-ce principalement difficile?

S : C’était principalement difficile. Les moments plus légers, pour moi, sont ceux où j’arrivais à garder la tête hors de l’eau tout juste assez longtemps pour reprendre mon souffle, sans être en état de crise aiguë. Je n’ai pas encore trouvé de points positifs ou de leçons à tirer de cette expérience. Même si je pouvais les voir, je préfèrerais les redonner en échange de notre vie d’avant.

Nous avons vécu certains moments plus positifs lorsque la famille, les voisin.e.s et les ami.e.s nous ont témoigné de la gentillesse et de l’amour.

Q : Où avez-vous trouvé du soutien? 

S : Notre accès à un réseau de soutien a été très limité, puisque notre parcours en lien avec le trouble neurocognitif a commencé au milieu des confinements liés à la COVID-19 au Manitoba. Nous nous sommes débrouillées comme nous avons pu. Un de nos enfants est resté à la maison un peu plus longtemps pour pouvoir nous aider, et nous sommes très reconnaissantes qu’il l’ait fait, puisque nous avions besoin d’aide pour tellement de détails pratiques, mais aussi sur le plan émotionnel. J’ai reçu du soutien de mes parents, ma fille et la personne qui partage sa vie, des cousin.e.s, des voisin.e.s et des ami.e.s. Certaines personnes allaient prendre des marches avec ma partenaire, d’autres nous apportaient des repas ou nous aidaient à travailler sur le terrain. Ce soutien informel était essentiel, parce qu’il est extrêmement difficile de s’occuper en permanence d’une personne ayant un trouble neurocognitif. J’étais tellement submergée par la gestion de cette situation et de toutes les autres tâches que je ne pensais pas à demander de l’aide. Ainsi, lorsque des personnes venaient rendre service dans la mesure de leurs capacités, j’étais très reconnaissante.

J’ai appelé un groupe LGBTQ local pour demander si des bénévoles étaient disponibles pour venir partager des moments avec ma partenaire. Elle était tellement impliquée dans la communauté lesbienne, je pensais donc qu’à ce moment de sa vie, elle obtiendrait du soutien en retour. Mais cela n’a pas été le cas.

Ma partenaire est maintenant dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée, où elle est très bien accompagnée. En arrivant, j’y ai vu des drapeaux arc-en-ciel et des messages disant que nous étions bienvenues. C’était la première fois depuis le début de notre parcours que j’ai senti que je pouvais respirer, que je n’avais pas besoin d’expliquer notre relation. Je ne suis pas inquiète parce que je sais que ma partenaire n’y subira pas de discrimination liée au fait qu’elle est lesbienne.

Je dois aussi trouver du soutien pour moi-même. J’ai dû trouver des ressources internes pour m’aider, puisque j’étais la personne qui l’accompagnait en permanence.

Q : Qu’est-ce que vous aimeriez que les prestataires de soins de santé et de services sociaux sachent à propos du soutien aux personnes 2SLGBTQI ayant un trouble neurocognitif et leurs partenaires?

S : Je veux les encourager à confronter leurs biais et leurs préjugés à propos des personnes 2SLGBTQI+ et à réaliser que tout le monde a des préjugés. Cela ne fait pas de nous de mauvaises personnes, seulement des êtres humains. Il est donc primordial de reconnaître les préjugés et les répercussions négatives que ceux-ci ont sur nous, puis de travailler pour les changer.

Je pense souvent à ce moment, pendant la COVID, où les gens disaient « nous sommes tou.te.s dans le même bateau, ça va bien aller. » Puis, certaines personnes issues de groupes marginalisés ont commencé à dire « non, nous ne sommes pas tou.te.s dans le même bateau. » Certaines personnes sont sur des bateaux de croisière, et d’autres dans des chaloupes trouées. Nous sommes dans la même tempête, mais pas dans le même bateau. Je veux que les prestataires de soins de santé et de services sociaux reconnaissent cette réalité.

Mon analogie personnelle? J’ai l’impression d’avoir été inscrite à un marathon auquel je n’ai jamais voulu participer. Avant même d’être sur la ligne de départ, j’ai dû faire une course d’obstacles, c’est-à-dire toute l’homophobie que nous avons subie. Ainsi, j’étais déjà épuisée en arrivant à la ligne de départ. Je suis dans la même course que les autres proches aidant.e.s, mais je dois aussi sauter tous ces obstacles. J’aimerais que les professionnel.le.s de la santé sachent que mon bateau est différent, que ma course est différente, et que ce n’est pas de ma faute. La faute est plutôt dans la façon dont la société traite les personnes 2SLGBTQI+. Nous faisons face à plus d’obstacles.

Je demanderais également aux professionnel.le.s de la santé de s’éduquer, parce que je n’ai pas l’énergie de poursuivre mon parcours lié au trouble neurocognitif et de faire de la pédagogie en même temps.

Q : Avez-vous des conseils ou des apprentissages à partager avec d’autres proches aidant.e.s comme vous qui commencent leur propre parcours?

S : Je crois qu’il faut commencer à bâtir une communauté pour vous-même et pour votre partenaire. Vous aurez besoin de personnes qui peuvent vous aider et venir prendre soin de vous, physiquement et émotionnellement. Et vous aurez besoin de personnes qui peuvent tout simplement être là pour vous, parce que le rôle de proche aidant.e est effrayant et exténuant. Bâtissez vos communautés, demandez de l’aide même si c’est difficile, et soyez bienveillant.e envers vous-même.

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