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« Parmi les thèmes communément abordés dans le cadre de la recherche sur le vieillissement, nombre d’entre eux sont amplifiés pour les personnes 2SLGBTQIA+. »

Une séance de questions avec Ashley Flanagan, chercheuse dans les domaines de la diversité et du vieillissement.

15 novembre 2022

Ashley Flanagan est chercheuse en diversité et en vieillissement au National Institute of Ageing. Ses travaux portent sur le vieillissement et le troisième âge chez les personnes 2SLGBTQIA+ et visent à faire progresser l’ensemble des politiques des programmes et des services en matière de soins de santé et de bien-être pour les personnes aînées d’identités de genre et sexuelles diverses. En collaboration avec Egale, elle a rédigé le dernier rapport du NIA sur les personnes aînées 2SLGBTQIA+ ayant un trouble neurocognitif et leurs personnes aidantes.  

Cette entrevue a d’abord été publiée par le National Institute on Ageing. Elle a été légèrement révisée pour des besoins de clarté et de concision.

Q : Selon vous, quels sont les enjeux les plus importants concernant les communautés 2SLGBTQIA+ et le vieillissement? 

R : Je crois que l’un des plus gros obstacles auquel nous faisons face, et que nous commençons à surpasser, tient au fait que beaucoup de gens ne réalisent tout simplement pas que les personnes 2SLGBTQIA+ vieillissent. Lorsque nous pensons aux communautés bispirituelles, queer et trans, c’est l’image de jeunes adultes qui nous vient généralement en tête, et je crois qu’une grande partie de notre attention doit effectivement leur être réservée. Cela étant dit, je pense qu’il faut aussi élargir notre horizon et, dans un premier temps, revendiquer le fait que les personnes aînées qui s’identifient comme 2SLGBTQIA+ existent bel et bien.  

Une fois cet obstacle surmonté, le champ des possibles s’élargit. Au fil de conversations avec différentes personnes, j’ai beaucoup appris sur les enjeux liés aux soins de longue durée, aux soins à domicile et aux services entourant le vieillissement en général. De nombreuses peurs et incertitudes entourent les troubles neurocognitifs. Le travail que nous avons accompli aux côtés d’Egale n’a fait que confirmer cela, et nous avons commencé a nous en débarrasser. Qu’il s’agisse d’isolement social, d’accès aux soins ou autres, parmi les enjeux communs en recherche sur le vieillissement, je pense que nombre d’entre eux sont amplifiés au sein des expériences des personnes aînées bispirituelles, queer et trans.  

Q : Pourquoi est-il important de considérer le vieillissement des personnes 2SLGBTQIA+ séparément de l’ensemble de la communauté? 

R : Je pense que cela tient en grande partie aux histoires que les personnes portent en elles au fil de leur vie. La génération actuelle de personnes aînées bispirituelles, queer et trans est la première à vivre ouvertement la diversité des orientations sexuelles et des identités de genre, d’une façon ou d’une autre. Ceci apporte son lot d’antécédents de discrimination et de harcèlement, mais aussi de militantisme, de réussites et de défis que ces personnes ont pu vivre tout au long de leur vie. L’une des choses que nous devons reconnaître chez les personnes aînées 2SLGBTQIA+ à mesure qu’elles vieillissent, c’est que leurs expériences les distinguent d’une manière qui nécessite des considérations particulières lorsque nous interagissons avec elles. Il ne s’agit pas seulement de ces histoires, mais de la façon dont celles-ci influencent leurs perceptions des services et programmes sociaux et de soins de santé. Tout cela ajoute une dimension supplémentaire à la façon dont le vieillissement est vécu.  

Q : Pouvez-vous nous parler des raisons pour lesquelles ce travail est important pour vous? 

R : J’ai travaillé et fait des recherches dans le domaine des études sur le vieillissement, en me concentrant toujours sur les expériences liées aux soins et, plus largement, dans le contexte des troubles neurocognitifs. En tant que personne queer, ce n’est qu’après avoir regardé un documentaire sur l’expérience du vieillissement pour les personnes lesbiennes que j’ai réalisé que j’aurai peut-être besoin de soutien, et quelle forme cela pourrait prendre. Donc, ma motivation, à un niveau personnel, était de tenter d’améliorer la qualité des soins liés au vieillissement, pour moi-même et pour mes pairs.  

J’ai ensuite rencontré des personnes qui m’ont parlé de leurs expériences, et c’est là que j’ai beaucoup appris sur les joies liées au vieillissement, mais aussi sur les peurs qui l’accompagnent.  C’est là que ma passion est née et que j’ai décidé de changer de sujet de maîtrise et de doctorat. Maintenant, chaque fois que j’ai une discussion avec une personne à propos du vieillissement ou de la vie quotidienne, cela me nourrit et me motive encore plus. Voilà ce qui me pousse à continuer! 

Q : Le mois dernier, le NIA a publié un rapport que vous avez écrit en collaboration avec Egale à propos des personnes 2SLGBTQIA+ ayant un trouble cognitif et leurs personnes aidantes. Quelles sont les conclusions principales de ce rapport? 

R : Dans l’ensemble, il appelle à entreprendre une approche systémique et à s’éloigner des solutions axées sur les individus, font peser la responsabilité de la recherche de soutien sur les personnes ayant un trouble neurocognitif et leurs personnes aidantes. Il s’agit donc d’intégrer des conversations concernant l’identité sexuelle et de genre dans les programmes de soins aux personnes ayant un trouble neurocognitif, afin de faire prendre conscience de l’expérience nouvelle, unique ou légèrement différente que cela constitue, que l’on soit atteint.e d’un trouble neurocognitif ou personne aidante. L’inverse est également important : il est essentiel d’intégrer des conversations sur les soins et les troubles neurocognitifs dans les programmes centrés sur les personnes 2SLGBTQIA+ afin de déconstruire la manière dont ces éléments ont été historiquement isolés. 

Une autre conclusion importante de cette recherche concerne la nécessité de se débarrasser de nos a priori sur les personnes aidantes et de reconnaître qui elles sont. Il ne s’agit pas seulement des partenaires, des enfants ou de la famille biologique. Celaconcerne aussi les voisin.e.s, les membres de familles choisies, les ami.e.s ou les connaissances. Il existe un réseau de soutien plus large et je crois qu’il est important de le reconnaître lorsque nous pensons aux mesures de soutien, autant pour les personnes aidantes que dans le cadre de différentes relations de soins.  

Q : Pouvez-vous parler de l’enjeu présenté par le cloisonnement des deux communautés? D’après vous, pourquoi en est-il ainsi? 

R : Je crois que cela s’explique par le manque de reconnaissance ou de sensibilisation. Les personnes bispirituelles, queer et trans vieillissent et font partie de la première génération partageant ouvertement ces aspects de leur identité, historiquement dissimulés aux prestataires de services sociaux et de soins de santé. Pour cette raison, dans les domaines de soins liés aux troubles neurocognitifs, il n’est pas nécessairement reconnu que les personnes bispirituelles, queer et trans utilisent ces services. On n’en a pas conscience. De plus, à l’intérieur de cette réalité et la renforçant peut-être un peu, se trouve la perspective qui dit : « Oh, nous sommes inclusifs, tout le monde reçoit le même traitement. Qui vous êtes ou vos identités n’importent pas, parce que nous traitons tout le monde de la même façon, tout le monde a accès aux mêmes services. » Cela entraîne un effacement des antécédents que ces personnes apportent avec elles dans ces espaces.  

D’un autre côté, au sein des communautés bispirituelles, queer et trans, on trouve souvent beaucoup d’âgisme et de capacitisme. Les choses sont souvent perçues sous le prisme de la jeunesse, il existe une emphase sur le maintien de la jeunesse et de la beauté, sans nécessairement reconnaître les personnes qui vont au-delà ces perceptions ou qui vieillissent au sein de ces espaces. Ainsi, les personnes ne parlent pas des enjeux liés au vieillissement parce qu’elles ne veulent pas y penser.  

Ceci étant dit, dans les dernières années nous avons vu beaucoup plus de communautés et groupes de type « Vieillir avec fierté » apparaître et on commence à voir des discussions en petits groupes se créer, ce qui est fantastique, à mon avis. Toutefois, au cours de notre étude, nous avons entendu dire que ces groupes ont davantage une visée sociale. Ils ne servent pas nécessairement à parler des défis du vieillissement, mais plutôt à bâtir une communauté, ce qui est absolument essentiel, mais les personnes aimeraient également que des discussions plus en profondeur aient lieu au sein de ces espaces.  

Q : Sur quoi travaillez-vous en ce moment? 

R : Nous avons commencé à réfléchir aux meilleures façons de travailler avec les personnes bispirituelles, queer et trans vivant dans les communautés rurales ou les petites villes afin de développer notre compréhension et nos perspectives sur la vie dans ces milieux. En effet, parmi les personnes à qui nous avons parlé, que ce soit pour le travail effectué avec Egale ou d’autres projets, beaucoup d’entre elles vivent dans des milieux plus urbains. Et, d’après ce que nous savons, le clivage entre les zones urbaines et rurales a généralement des répercussions sur le vieillissement. En tant que personne vivant dans une communauté rurale, je pense qu’il serait très important de travailler à réduire cet écart et de prendre en considération les perspectives et les connaissances des personnes bispirituelles, queer et trans sur le vieillissement.  

Q : Quelles actions pouvons-nous entreprendre pour soutenir les personnes aînées 2SLGBTQIA+? 

R : Je pense que la chose la plus importante et la plus simple est de faire ses propres recherches. J’ai beaucoup parlé des histoires et des expériences que les personnes aînées portent en elle. Je pense que la première étape est de se familiariser avec ces expériences; ce que le mois de la Fierté signifie, pourquoi est-il en juin, son importance pour les personnes 2SLGBTQIA+ et la place que nous occupons dans cette histoire, consciemment ou non. Ensuite, au fur et à mesure que nous apprenons, il faut réfléchir aux idées préconçues et aux biais potentiels que nous avions en nous tout ce temps, jusqu’au moment présent. Les modules d’apprentissage en ligne d’Egale constituent une ressource importante pour tout le monde. 

Une autre action relativement simple à mettre en œuvre est de faire attention au langage que nous utilisons lorsque nous nous adressons à d’autres personnes. Par exemple, prendre l’habitude d’utiliser un langage encourageant l’affirmation, utiliser des formulations neutres, ou, lorsqu’une personne les partage avec nous, utiliser ses pronoms et respecter ces aspects de son identité. Pour ce faire, dans un premier temps, lorsque vous vous présentez, précisez vos propres pronoms et ouvrez la conversation pour que la situation soit propice au partage.  

Enfin, au sein des organisations, on peut évaluer les politiques et les procédures, même si cela est moins aisé. En effectuant ce travail quotidien à un niveau personnel, toutefois, les répercussions positives se feront sans aucun doute sentir.