Février 2023
Entrevue par Ashley Flanagan
Stephanie Jonsson (elle) est une étudiante au doctorat en études féministes et études de genre à l’université York. Ses recherches s’intéressent aux intersections entre vieillir, être queer et les nouvelles technologies. Dans sa thèse « Queering the Digital Divide », elle examine les difficultés rencontrées par les personnes aînées 2SLGBTQI lorsqu’elles accèdent à des prestations de services en ligne. En janvier 2021, Stephanie cofonde l’ODLAN afin de répondre aux nouveaux enjeux liés à la fracture numérique rencontrés par les communautés 2SLGBTQIA+ pendant la pandémie.
Q : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’ODLAN (Ontario Digital Literacy and Access Network, Réseau d’accès et de littératie numérique de l’Ontario), et la façon dont ce projet a vu le jour?
S : Au début de la pandémie de COVID-19, je faisais des recherches sur les personnes aînées 2SLGBTQIA+ en soins de longue durée et leur risque accru de subir de l’homophobie, de la transphobie, de l’hétérosexisme, etc. J’ai bien pris conscience des obstacles qu’elles rencontraient. À l’époque, j’organisais également des évènements et des programmes pour des organisations comme le Réseau Fierté des aîné(e)s. J’ai vite compris que cette transition dans l’espace virtuel (en raison de la COVID-19) allait avoir des répercussions sur les personnes vivant dans un établissement de soins de longue durée : elles n’ont pas nécessairement accès à un logement privé, elles n’ont pas nécessairement accès à une tablette. Tous les établissements de soins de longue durée ne disposent pas d’une connexion Internet dans l’ensemble du bâtiment. J’avais déjà conscience d’un tas de choses, mais je ne savais pas exactement comment tout cela allait se concrétiser. J’ai obtenu un stage de recherche avec Mitacs pendant l’été 2020, où j’ai effectué des recherches préliminaires sur les programmes proposés aux personnes aînées au cours de cet été : quel était le format proposé? Comment les informations concernant le programme étaient-elles diffusées, et où? Y avait-il des éléments laissant penser que la publicité pour cet évènement se faisait ailleurs que sur Internet? Et quelles seraient les personnes exclues?
J’ai ensuite discuté avec des coordonnateur.rice.s de programmes et je me suis rendue dans des organismes proposant un accompagnement aux nouvelles technologies afin de me renseigner sur ce qui était prévu. Je précise qu’il ne s’agissait pas forcément d’organisations queers. J’ai découvert que beaucoup d’entre elles n’avaient pas vraiment connaissance des besoins propres aux personnes aînées 2SLGBTQI+, ni des difficultés qu’elles rencontraient face aux nouvelles technologies. De là, je me suis associée à l’AIDS Committee de North Bay pour piloter un programme de prêt de tablettes. Pour l’AIDS Committee, le programme a rencontré un franc succès pendant son opération. Il existait clairement un fossé entre notre façon d’intégrer des stratégies numériques dans nos plans dans un but non lucratif et notre façon d’équiper en technologie les personnes qui en avaient besoin. J’ai alors constitué l’ODLAN en société et je me suis associée à Connected Canadians (déjà partenaire de Bruyere, Ride to Connect et Amazon) afin de remettre un iPad à neuf personnes aînées 2SLGBTQI (avec 3 mois de données et un accompagnement numérique) pour leur permettre d’accéder à des programmes en ligne.
L’ODLAN propose désormais un répertoire de services de littératie et d’accès au numérique en plus de ses propres ressources sur la façon dont la fracture numérique affecte les communautés 2SLGBTQI+. Nous consultons également plusieurs organisations afin de bâtir l’infrastructure et les capacités nécessaires pour créer des ressources et des programmes en ligne inclusifs des personnes 2SLGBTQI+. En favorisant la sécurité, l’équité et l’accès au numérique, notre objectif est d’éliminer les obstacles à la littératie et à l’accès au numérique pour les communautés 2SLGBTQI+.
Q : Pouvez-vous nous en dire plus sur la fracture numérique et ses répercussions sur les personnes aînées 2SLGBTQI?
S : La fracture numérique fait référence au fossé entre les personnes pouvant utiliser Internet et en profiter et celles qui ne le peuvent pas. Dans la société occidentale, on semble partir du principe que la majorité de la population, si ce n’est la population entière, dispose d’un accès à Internet et peut en profiter, ce qui est loin d’être le cas. En fait, certaines personnes n’ont pas Internet pour une multitude de raisons :
- des obstacles environnementaux : avoir un espace d’affirmation positive privé et sécuritaire pour accéder à des programmes en ligne (par ex. : avez-vous un espace privé depuis lequel vous pouvez participer au programme?);
- des obstacles liés à la connexion : avoir un accès fiable à Internet et à des appareils (par ex. : sécurité financière, logement, appareils à jour, infrastructure municipale, etc.);
- des obstacles liés à la littératie numérique : la capacité à utiliser et à naviguer en toute confiance sur des plateformes anciennes et récentes (par ex. : avez-vous un appareil à jour qui supporte un nouveau logiciel, comme Zoom?) : et
- des obstacles liés à la pandémie de COVID-19,soit les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur l’accès à une assistance ou à des services publics en personne.
Des contraintes financières ou géographiques peuvent également être en jeu. Partout au Canada, des communautés rurales n’ont toujours pas les infrastructures nécessaires pour avoir accès à Internet. De plus, de nombreuses communautés autochtones doivent utiliser des données mobiles ou un accès commuté, ce qui peut s’avérer très coûteux. Cela affecte la capacité des personnes à prendre pleinement part au monde virtuel. Elles ne se tiennent pas à jour des dernières technologies de la même manière que celles qui les utilisent au quotidien. Prenons les personnes aînées 2SLGBTQI des communautés rurales : elles n’ont pas le même accès aux services d’assistance 2SLGBTQI+ que nous avons à Toronto.
De plus, les personnes aînées 2SLGBTQI+ à Toronto qui vivent dans des logements subventionnés peuvent faire face à des problématiques uniques lorsqu’il s’agit de prendre soin d’un nouvel appareil. Par exemple, j’ai fourni une tablette à une personne aînée qui m’a appelée pour me dire qu’elle ne voulait pas s’allumer. Je me suis rendue sur place pour diagnostiquer le problème. Les câbles avaient été rongés par des rats vivant dans le bâtiment. Il s’agit-là d’un aspect environnemental dont je n’avais même pas conscience à cette époque.
Q : Qu’aimeriez-vous que les prestataires de soins de santé et de services sociaux comprennent afin de soutenir l’inclusion, l’équité et l’accès au numérique?
S : J’aimerais que certaines choses soient comprises :
Premièrement, il convient de réfléchir sérieusement aux multiples éléments pouvant mener à une exclusion numérique, notamment lors du développement d’un programme en ligne visant par exemple à atténuer l’isolement social et la solitude, ou à fournir des soins d’affirmation de genre en ligne. Les organisateur.rice.s doivent comprendre qu’il ne s’agit pas d’une formule universelle et qu’il faut s’adapter au niveau de chaque personne. Par exemple, de nombreuses personnes aînées se sentaient frustrées par le fait que certain.e.s prestataires de services demandent que la caméra soit activée afin d’obtenir un service. Certaines se sont donc vu refuser l’accès à ces services, car elles ne savaient pas activer la caméra sur Zoom ou elles n’arrivaient pas à se connecter assez rapidement en raison de problèmes techniques. Pour s’adapter au niveau de chaque personne, les formulaires d’admission des prestataires de soins de santé et de services sociaux devraient poser des questions du type « De quelles technologies êtes-vous équipé.e? » Ou encore « Si Zoom (par exemple) est l’option utilisée pour consulter votre prestataire, de quelle assistance auriez-vous besoin? »
Deuxièmement, il faudrait intégrer l’assistance technologique nécessaire dans les propositions de financement et/ou les plans de projet au cours des phases de planification. Je suis consciente que nous ne pourrons pas tout faire et que tout le monde n’est pas en mesure d’intégrer des tablettes dans ses plans de projet. Mais, on peut peut-être penser à des cartes de données mobiles? Ou envisager de proposer un modèle hybride, avec des éléments à faire en présentiel et d’autres en virtuel? Il faudrait se demander : « Comment pourrions-nous identifier les solutions réalisables pour notre entreprise qui nous permettraient de nous adapter aux besoins de chaque personne? »
Et troisièmement : demandez de l’aide! Si l’assistance technologique n’est pas votre domaine et que vous ne comptez pas l’intégrer à vos plans de projet, contactez les organisations qui offrent une assistance technologique pour voir comment elles peuvent vous aider. Il existe des organisations qui font un travail formidable auprès des personnes aînées afin de s’assurer qu’elles restent connectées en ligne. Par exemple, Connected Canadians propose des programmes visant à « former les formateur.rice.s », et Cyber Seniors enseigne aux organisations communautaires comment créer des centres d’accompagnement informatique. Une dernière chose : ces organisations peuvent également s’associer à d’autres organisations 2SLGBTQI pour apprendre à mieux venir en aide aux personnes aînées 2SLGBTQI, car ces dernières pourraient ne pas se sentir aussi soutenues qu’elles pourraient l’être lorsqu’elles demandent de l’aide. C’est dans cet esprit qu’a été créé l’ODLAN : je crois qu’il est essentiel de travailler ensemble pour offrir une assistance dans l’ensemble des organisations afin de créer une communauté plus inclusive dans son accès au numérique. Il ne s’agit pas de la responsabilité d’une seule organisation. Nous voulons fournir aux organisations les ressources, les outils et les connaissances nécessaires à l’offre d’un accompagnement optimal des personnes qui utilisent les programmes en ligne.
Q : Pouvez-vous partager quelques ressources ou services susceptibles d’intéresser les personnes aînées 2SLGBTQI et/ou celles qui leur viennent en aide?
S : Notre portail de ressources dispose de 197 ressources à travers l’Ontario. Nous disposons d’un vaste ensemble de ressources générales en matière de littératie et d’accès au numérique que nous nous efforçons de tenir à jour. Par exemple, il y a de nombreux centres technologiques dans les bibliothèques locales. Nous les avons rassemblés dans notre plateforme afin que les personnes puissent les consulter et voir ce qui correspond à leurs besoins. Nos infographies constituent également d’excellentes ressources pour renforcer les connaissances des prestataires de soins de santé et de services sociaux. J’encourage donc tout le monde à consulter notre page d’infographies et notre chaîne YouTube.
Q : Comment accéder à ces ressources et ces services? Comment s’impliquer?
S : Vous pouvez nous écrire à l’adresse info@odlan.ca ou consulter notre site Web odlan.ca. Je vous encourage également à nous suivre sur Instagram @ODLANCanada.
Ressources supplémentaires :
- Canadiens Branchés
- Cyber Seniors
- Des personnes aînées de Toronto reçoivent de l’aide pour réduire la fracture numérique. Article du Toronto Star (en anglais)
- You’ve Been Disconnected – RightsCon Lightning Talk on the Digital Divide (Vous avez été déconnecté.e – Discussion de RightsCon sur la fracture numérique) (en anglais)