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Séance de questions sur le vieillissement chez soi et en logement multigénérationnel pour les aîné·es 2SLGBTQI avec Victor Perez-Amado

Novembre 2023

Entrevue réalisée par Ashley Flanagan, PhD

Victor Perez-Amado est professeur adjoint (en voie de titularisation) à la School of Urban and Regional Planning de l’Université métropolitaine de Toronto. Après avoir suivi une formation en architecture et en planification urbaine, il a été diplômé de la School of Design de l’Université Harvard.

Ses recherches universitaires sont basées sur des études portant sur le vieillissement chez soi et en logement multigénérationnel, notamment dans les communautés 2SLGBTQI+. Ces projets comprennent « Aging Together et Queering Home », mais aussi un partenariat avec Egale Canada, les communautés de retraite Lathrop dans le Massachusetts, un schéma directeur et une conception de logements de vie en autonomie et assistée pour les aîné·es atteint·es de troubles neurocognitifs et d’autisme. On lui doit aussi les Harmon Apartments de The Boston Home, un projet de logements de vie en autonomie pour les aîné·es atteint·es de déficiences mentales porté par DiMella Shafer, un cabinet d’architectes basé à Boston. À un tout autre registre d’engagement auprès de la ville, Victor Perez-Amado œuvre pour dynamiser les espaces publics en concevant et en construisant des installations équitables et à but pédagogique. Sa méthodologie s’appuie sur des théories d’aménagement, dans laquelle il explore le prototypage, la visualisation, la dynamisation du domaine public et l’engagement communautaire.

Le travail de Victor Perez-Amado a été exposé en 2019 et en 2023 à la Biennale d’architecture et d’urbanisme de Séoul, ainsi qu’à l’exposition Grounded Visionaries de la Graduate School of Design d’Harvard.

Q : Pouvez-vous nous présenter brièvement les difficultés spécifiquement liées au logement rencontrées par les aîné·es 2SLGBTQI lorsqu’il s’agit de vieillir chez soi?

Il est indispensable de comprendre que les communautés 2SLGBTQI+ s’appuient sur le concept de « famille choisie » ou de « lien queer » lorsqu’il s’agit de vieillir chez soi. Ces relations non biologiques sont une source de soutien importante, en particulier puisque les personnes 2SLGBTQI+ manquent souvent du soutien traditionnel de leur famille biologique. Ce principe de famille choisie, tel que présenté par l’anthropologue Kath Weston, reconnaît l’importance des ami·es proches qui peuvent avoir été rejeté·es par leur famille biologique.

Premièrement, les idéaux relationnels, les rôles familiaux et la cohabitation hétéronormatifs ont influencé l’évolution des possibilités de logement pour les aîné·es à Toronto et au Canada. Ces influences marginalisent les personnes qui ne se conforment pas aux attentes sociétales hétéronormatives, notamment en ce qui concerne la cohabitation avec sa famille choisie. En outre, les recherches sur les expériences des aîné·es 2SLGBTQI+ au Canada ont démontré que de nombreuses personnes craignaient la discrimination ou l’avaient subie en accédant à un soutien formel. Certaines personnes âgées 2SLGBTQI+ ont indiqué avoir dû « retourner dans le placard » par peur de subir de la discrimination lors de l’accès à des institutions, à un logement adapté ou à d’autres formes de logement. De plus, à Toronto, plusieurs types de logements ne sont pas conçus pour la cohabitation ou le partage. De nombreuses politiques ne vont elles non plus pas en ce sens. Or, ces éléments sont pourtant essentiels pour les personnes 2SLGBTQI+ qui souhaitent vivre avec la famille qu’elles se sont choisie.

Deuxièmement, les villages 2SLGBTQI+ ont émergé du souhait de former des familles choisies. Ces villages peuvent permettre de répondre aux besoins de la communauté 2SLGBTQI+, surtout après des périodes de persécution comme celle de Stonewall. Toutefois, en raison de la gentrification, de la hausse des loyers et de la popularité croissante de l’acceptation des « gai·es », ces quartiers ont tendance à devenir touristiques et dominés par des personnes n’appartenant pas à la communauté 2SLGBTQI+ plutôt que de faire office d’espace sécuritaire. Par conséquent, les personnes choisissent souvent de déménager dans d’autres quartiers plus abordables qui ne disposent pas des services et des installations nécessaires spécifiquement dédiés à la communauté 2SLGBTQI+. Par ailleurs, il est possible que les personnes des autres quartiers ne soient pas être aussi ouvertes d’esprit que celles qui vivent dans le centre-ville.

Troisièmement, les facteurs systémiques et structurels, notamment les identités 2SLGBTQI+, l’âge avancé, la pauvreté et le racisme, ont des répercussions les besoins en matière de logement des aîné·es 2SLGBTQI+. En effet, en raison de la stigmatisation, de la discrimination et de la violence systématiques et socialement acceptées qui continuent à se produire dans les programmes de logement pour personnes âgées, par exemple les maisons de repos, les personnes 2SLGBTQI+ évitent souvent ces structures ou prennent des précautions si elles doivent y résider. Ce problème devient encore plus important lorsque les aîné·es 2SLGBTQI+ habitent dans certains quartiers de la ville où les fournisseurs de services ne sont pas formés de manière appropriée pour répondre aux besoins de ces communautés.

Enfin, dans le zonage de la ville de Toronto, 62 % du territoire est dédié à des quartiers résidentiels, à savoir de grandes étendues de terrain qui permettent uniquement la construction de maisons individuelles non attenantes sur de grands terrains. Pour les personnes âgées 2SLGBTQI+ qui habitent dans ces quartiers, il peut donc être compliqué de trouver des services essentiels ainsi que d’avoir accès à des possibilités de logement diversifiées à proximité de chez elles, puisque le zonage de ces espaces les limite à une seule utilisation.

Q : Pouvez-vous nous donner votre avis sur la manière dont les politiques en matière de logements ou la conception de ces derniers pourraient permettre de mieux répondre aux difficultés en matière d’accès et de qualité que rencontrent les aîné·es 2SLGBTQI lorsqu’iels vieillissent chez elleux? Comment ces changements peuvent-ils être mis en œuvre efficacement?

Tout d’abord, les politiques en matière de logement de Toronto et du Canada devraient mieux prendre en compte les structures sociales propres aux aîné·es 2SLGBTQI+, qui s’appuient souvent sur leur famille choisie pour obtenir du soutien. Ces familles reposent sur des liens qui ne sont pas biologiques, mais sont indispensables aux réseaux de soutien et aux soins informels. Afin de permettre aux personnes âgées 2SLGBTQI+ de vieillir chez elles, il est nécessaire que le Canada adopte des politiques inclusives donnant la priorité au logement abordable et sécuritaire, ainsi qu’aux services publics.

Par exemple, plusieurs politiques font en sorte qu’il est plus difficile pour les aîné·es 2SLGBTQI+ d’accéder au logement, en particulier car elles ne permettent pas de répondre à leurs besoins concernant le fait de vivre avec leur famille choisie. Le zonage des quartiers définis comme « résidentiels », qui leur attribue un usage unique, préserve et accentue le caractère existant du quartier, notamment les modèles de rue, la taille des terrains, les types de bâtiments, les hauteurs, les marges de recul et les aspects liés à la préservation du patrimoine. Ces arrêtés ne répondent pas aux besoins des aîné·es 2SLGBTQI+, car ils limitent les services de vente au détail essentiels et les possibilités d’avoir des logements diversifiés. Le fait de mettre l’accent sur les pavillons individuels limite également la possibilité d’intégrer à ces logements les systèmes de famille choisie présents dans les communautés 2SLGBTQI+.

Ensuite, lors d’un projet de recherche mené en collaboration avec Celeste Pang, PhD, nous avons démontré que les politiques de logement au niveau fédéral liées aux avantages fiscaux nécessitent des relations familiales normatives basées sur la génétique, comme les parents, les grands-parents, les enfants, les petits-enfants, les frères, les sœurs, les conjoint·es ou les partenaires. Cela empêche les foyers qui s’identifient comme une famille, mais n’ont aucun lien biologique de bénéficier d’avantages fiscaux. C’est particulièrement vrai pour les personnes 2SLGBTQI+, qui s’appuient souvent sur leur famille choisie pour obtenir du soutien.

Du point de vue de l’urbanisme, on observe à Toronto un manque de logements de taille moyenne à but spécifique. Les foyers 2SLGBTQI+ se concentrent fortement dans des zones caractérisées par une majorité d’immeubles d’appartements de cinq étages ou moins. Généralement désignés comme des zones résidentielles pavillonnaires ces quartiers présentent souvent des maisons divisées en appartements, car les logements à densité moyenne ne sont pas très répandus à Toronto. Les quartiers résidentiels pavillonnaires présentent la densité la plus faible de la ville, mais aussi un fort potentiel d’évoluer vers des logements à densité moyenne.

En outre, il manque des logements à but spécifique qui permettent la cohabitation ou le partage de logement. Nous avons observé que les foyers 2SLGBTQI+ ont tendance à se concentrer dans l’ouest de la ville, probablement en raison de la taille et de la capacité des logements.

Q : Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle du soutien social et communautaire dans la facilitation du choix de vieillir chez soi pour les aîné·es 2SLGBTQI, particulièrement en ce qui concerne la sécurité du logement et le bien-être global?

Les systèmes de soutien communautaire sont extrêmement importants pour que les personnes âgées 2SLGBTQI+ puissent vieillir chez elles. Par exemple, il a été démontré que les facteurs systémiques et structurels, notamment les identités 2SLGBTQI+, l’âge avancé, la pauvreté et le racisme, ont des répercussions les besoins en matière de logement des aîné·es 2SLGBTQI+. En effet, ces personnes ont souvent tendance à éviter les programmes de logement pour personnes âgées, y compris les maisons de repos, ou à prendre des précautions si elles doivent y résider, car nombre d’entre elles ont été continuellement l’objet de stigmatisation, de discrimination et de violence systématiques et socialement acceptées. Par conséquent, leurs besoins sont souvent négligés, ce qui entraîne des initiatives communautaires et de revendication des droits.

Par exemple, des études ont révélé que les participant·es s’adonnaient à diverses formes d’autorevendication, en trouvant des moyens d’obtenir un logement. Certaines personnes partagent des maisons ou louent une chambre chez d’autres personnes 2SLGBTQI+ d’âge variable, adoptant un modèle de logement intergénérationnel où les ressources sont partagées. Les communautés 2SLGBTQI+ sont également impliquées dans des programmes permettant de combler les lacunes des autres services. On peut notamment citer l’exemple de Cathy Collett, de Barry Deeprose et de Marie Robertson, qui ont commencé très jeunes à revendiquer les droits des personnes atteintes du VIH/SIDA. En vieillissant, iels ont identifié le besoin d’offrir un environnement accueillant et sécuritaire aux personnes 2SLGBTQI+ résidant dans des maisons de repos ou des logements de soins de longue durée.

Certains groupes de défense ont entrepris un travail similaire à Toronto, comme The519, Egale Canada et The Senior Pride Network. Ces organisations ont collaboré avec des partenaires communautaires pour sensibiliser le public et mettre sur pied des campagnes pédagogiques traitant des effets de l’homophobie et de la transphobie chez les aîné·es.

Q : Comment pourrait-on élaborer ou adapter des modèles ou des conceptions de logement ou des programmes communautaires inclusifs ou innovants afin de mieux répondre aux besoins diversifiés des personnes 2SLGBTQI âgées qui souhaitent vieillir chez elles?

En vue de faire le lien entre la théorie et la pratique et de créer des modèles de logement partagé pour les aîné·es 2SLGBTQI+ à Toronto, il est essentiel de comprendre à quoi peuvent ressembler ces types de logements et comment ils peuvent être co-créés. Cette compréhension est indispensable pour faire en sorte que les logements répondent aux besoins uniques des communautés 2SLGBTQI+. Cela implique donc d’obtenir des informations sur les politiques existantes, leurs répercussions sur les formes des constructions de logement et les solutions permettant de faire changer les choses. Cela implique aussi la compréhension des possibilités de financement, ainsi que l’identification des partenaires communautaires susceptibles de soutenir ces projets. Point important, il est essentiel d’impliquer la communauté dès le début du projet.

La participation des citoyen·nes joue un rôle clé dans la mise au point de programmes efficaces et garantit équité et de engagement. La hiérarchisation des besoins du quartier et l’allocation d’un financement adéquat pour mettre en œuvre un programme de qualité sont des aspects fondamentaux de ce processus. Une participation authentique des citoyen·nes permet de prendre des décisions de manière collaborative, en encourageant la communauté à travailler ensemble de façon créative sur des projets communs tout en cultivant un sentiment de responsabilité dans le cadre des projets.

Par exemple, dans mon studio d’école PL8110 – Aging Together, les étudiant·es ont mis au point une trousse à outils visant à soutenir les personnes et les organisations qui souhaitent explorer les modèles de logement partagé 2SLGBTQI+ à Toronto. Cette trousse à outils regroupe des informations sur les politiques, les formes de construction, le financement et les partenariats communautaires. Ces informations proviennent de recherches menées sur les accords de partage de logement au sein de la communauté 2SLGBTQI+, notamment d’un état des connaissances universitaires et des politiques pertinentes, accompagné d’un exercice de mise en correspondance portant sur les populations 2SLGBTQI+ vivant à Toronto.

Q : Où est-il possible d’en savoir plus sur vos précédents travaux et sur ceux en cours?


Actuellement, mes recherches sur les stratégies liées au vieillissement chez soi des aîné·es 2SLGBTQI+ ont été présentées dans des expositions comme la Biennale 2023 d’architecture et d’urbanisme de Séoul, ainsi que des congrès comme l’ACSP 2023 à Chicago. Je travaille actuellement sur plusieurs ressources web et publications, dont certaines en collaboration avec Egale Canada, qui seront publiées courant 2024.