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Questions et réponses avec Brian Cope

Juin 2024

Entrevue effectuée par la Dre Brittany Jakubiec

La Dre Brittany Jakubiec est directrice de la recherche à Egale Canada, où ses travaux sont axés sur les questions de santé et d’emploi des personnes 2SLGBTQI. Pour en savoir plus sur la recherche chez Egale, cliquez ici. Recherche — Egale.  

La carrière de Brian Cope s’étend sur plus de 30 ans. Brian possède une riche expérience en marketing et il est actuellement président de l’organisation Senior Pride Network de Toronto. Les contributions artistiques de Brian à la communauté 2SLGBTQI+ sont diversifiées. En tant que raconteur et artiste de genre, Brian s’est produit dans des lieux renommés comme Buddies in Bad Times et a participé à des projets importants comme l’émission « Drag Heals » (saison 2). Les prochains engagements professionnels de Brian comprennent des concerts dans l’espace privé et des apparitions publiques pour interpréter son texte de présentation actuel, « On Becoming… Miss DeWitt », un article qui résume la nature réfléchie et expressive du cheminement vers la découverte de soi et l’authenticité, ce qui souligne davantage sa pertinence, son impact et sa contribution à la communauté 2SLGBTQTI+.


Q : L’été marque le début de la saison de la Fierté avec des célébrations partout au Canada. Que signifie la Fierté pour vous ?

R : La Fierté a deux aspects à mes yeux. C’est l’occasion d’un retour en arrière, à penser à ma vie quand j’étais marié et quand je masquais qui j’étais vraiment. Pendant toutes ces années, j’ai vu la Fierté comme un moment de plaisir où toutes les personnes pouvaient être elles-mêmes, mais où je n’étais pas moi-même. Il y avait un peu d’angoisse par rapport à tout cela. Au cours des 25 dernières années environ, depuis que je ne cache plus mon identité, ce que la Fierté signifie pour moi a changé. Au départ, on se disait : « Oh, mon Dieu, je peux y participer et me sentir inclus. » Mais en fait, la Fierté a évolué pour devenir une expérience très solitaire pour moi. J’ai arrêté d’aller à la Fierté parce que je n’avais pas de groupe d’ami·es et que je venais tout juste de commencer à m’afficher. Je ne voulais pas non plus aller boire toute la nuit, alors c’est devenu un moment solitaire. J’ai arrêté d’aller à la Fierté. Puis, en devenant plus activiste, j’ai vu la Fierté comme étant nécessaire. Certains de mes projets exigent que je réfléchisse à la Fierté et que je dise aux autres de quoi il s’agit, ce qui m’a rendu plus réfléchi et plus engagé. Donc, aujourd’hui, la Fierté est une occasion pour moi d’expliquer aux gens pourquoi c’est nécessaire, selon moi, et cela me permet de dialoguer avec tout le monde.

Q : Vous avez récemment été présenté par CBC Arts dans un épisode de l’émission Canada’s A Drag, qui décrit votre travail lorsque vous personnifiez Miss Juwanna DeWitt. Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être présenté de cette façon ? Comment le public vous a-t-il accueilli ?

R : Je suis honoré d’avoir été choisi. Seulement six artistes ont été sélectionnés pour la série cette année. Il y a quelques années, je regardais l’émission Canada’s A Drag et j’ai remarqué qu’il n’y avait pas d’artistes de plus de 35 ans. J’ai trouvé les coordonnées d’une personne de l’équipe de production de Canada’s A Drag, et je lui ai écrit pour lui demander pourquoi il n’y avait pas de représentation des adultes âgé·es. Les responsables m’ont répondu par une belle lettre, mais iels n’ont pas dit qu’iels allaient faire quoi que ce soit à ce sujet. Des années plus tard, un producteur chevronné de la CBC m’a demandé de participer à une saison. J’étais très enthousiaste à l’idée de le faire ! Je me suis dit : « Il y aura au moins une histoire professionnelle à mon sujet ! » Peu de personnes ont cette possibilité.

Ma participation à l’émission signifie que, à un niveau plus élevé, il y a une représentation des personnes queer âgées au Canada dans le monde duu drag ou en tant qu’artiste de genre (formulation que j’utilise pour moi-même, plutôt qu’artiste de drag), parce que je vois le genre de travail que je fais être tellement différent. En fait, je me considère comme un « raconteur et artiste de genre ». Beaucoup de drag queens dansent et font du lip-sync, et c’est correct, mais ce n’est pas mon truc. La genèse de ma création est venue du théâtre. Je suis inscrit au Conseil des Arts du Canada en tant qu’artiste de théâtre. Donc, pour l’émission Canada’s A Drag, j’ai vu cela comme une occasion de représenter les personnes queer âgées. C’était l’occasion de voir mon art. Je ne savais pas à quel point je me sentirais vulnérable. En partie, parce que pour moi, la seule façon de vivre maintenant, c’est en étant honnête et vulnérable. Mais quand j’ai vu l’émission, ça a été comme une grande bouffée d’air. Je n’y aurais rien changé. Ils m’ont dépeint comme une personne réelle, honnête, engagée et vulnérable. J’étais ravi que mes enfants y soient aussi. Ma fille est ma fashionista passionnée de mode, et mon fils prenait des photos.

Quel a été l’accueil du public ? Mon nombre d’abonné·es sur Instagram a doublé, et j’ai reçu des commentaires de centaines de personnes de partout dans le monde sur mes plateformes de médias sociaux ! J’ai aussi utilisé la vidéo de la CBC comme carte de visite. Je suis très engagé envers les foyers de soins de longue durée et je veux continuer à me produire en spectacle dans ces établissements. Après la sortie de la vidéo, un·e drag king du Yukon m’a dit : « Nous avons besoin de toi ici ! » et ainsi, je serai l’un des artistes en vedette de la Fierté du Yukon de 2024 ! J’ai aussi parlé aux responsables de la Fierté du Yukon et je leur ai dit : « Je veux que vous me trouviez un foyer de soins de longue durée », parce que je veux aussi me produire en spectacle là-bas et offrir un service deux pour un. Je vais probablement me produire en spectacle dans l’un des plus grands foyers de soins de longue durée de Whitehorse ! La vidéo de la CBC m’a donné tellement d’occasions.

Q : Qu’est-ce qui vous a inspiré à devenir un raconteur et artiste de genre, et comment votre façon de faire du drag [MP1] a-t-il évolué au fil du temps ? Qu’est-ce que le drag signifie pour vous ?

R : La première fois que j’ai touché au genre alternatif, c’était quand j’avais 10 ans. Je vivais dans le nord de l’Ontario et il y avait un carnaval d’hiver. J’avais une partie d’un costume, mais je n’avais pas de poitrine. Ma mère m’a dirigé vers un certain tiroir, et dans le tiroir, il y avait ce qu’on appelait des falsies, de faux seins en caoutchouc. Ma mère m’a prêté ses faux seins ! J’étais aux anges ! C’est la première fois que je me souviens de m’être habillé « en femme ». Ensuite, j’ai été inactif. Je n’ai rien fait.

Le fait de dire ce qui m’a inspiré semble étrange, mais les gens me demandent souvent ce que c’est que d’être Juwanna DeWitt. J’ai l’impression que nous ne sommes qu’une personne. L’évolution a été lente. Dans les premières années de la Fierté, la première fois que je me suis habillé « en femme » et que je suis descendu dans la rue, je fréquentais un homme qui était ouvert, authentique et qui embrassait ce que je faisais. Au début, je m’habillais « en femme », mais seulement à la Fierté et à l’Halloween. C’étaient des moments sécuritaires. Il y a huit ans, j’ai participé à un projet de théâtre à Buddies in Bad Times appelé Youth/Elders Project. L’année suivante, j’ai collaboré avec un ami (Charles Hayter) et écrit une pièce appelée MotherLoad. Ce fut un succès retentissant au 39e Rhubarb Theatre Festival. Dans cette pièce, nous imaginions ce que nos mères penseraient d’avoir des fils qui s’affichaient comme personnes queer plus tard dans la vie. Le point spécial, c’est que nous jouions le rôle de nos mères.

C’est à peu près à l’époque où j’ai suivi un cours de burlesque. Tout cela est en train de s’accumuler. J’aime jouer et me produire en spectacle, porter des costumes et me maquiller. Je vois d’autres personnes comme elles sont. J’ai été invité à participer à la deuxième saison de l’émission Drag Heals. Le parcours de création de Miss Juwanna DeWitt était en quelque sorte inexpérimenté au moment où j’ai fait partie de l’émission Drag Heals. Donc, ce que le drag est devenu pour moi, c’est une permission d’explorer toutes sortes d’art et de théâtre et d’aller de l’avant. Mon type de drag a mûri, et je suis devenu plus confiant. Je sais vraiment qui elle est et je connais son caractère. Je ne me considère pas comme un humoriste, mais plutôt comme un connecteur. Pour moi, le drag signifie la connexion. Le drag, c’est la vie.

Q : Dans des émissions comme RuPaul’s Drag Race, le drag est souvent considéré comme un jeu pour les jeunes. Quelle est l’importance d’avoir des adultes plus âgé·es comme vous qui font du drag ?

R : C’est important parce que cela attire l’attention. Je suis l’un des artistes les plus âgés. Je suis à la recherche de vieux et vieilles artistes de drag depuis quelques années, et iels n’existent pas. Iels ont fermé ce chapitre, pour ainsi dire. C’est important pour moi, parce que je suis un homme de 78 ans qui donne des spectacles liés au genre, et j’attire l’attention. Si j’obtiens de l’attention, je peux alors parler d’enjeux importants pour les personnes âgées homosexuelles, comme les soins de longue durée, l’isolement, la solitude et la toxicomanie. J’ai l’occasion de présenter des exposés et de me produire en spectacle pour diverses organisations, pour des foyers de soins de longue durée et à l’occasion de foires pour les personnes âgées. Je suis ici pour parler au nom des personnes âgées homosexuelles.

Q : Dans le climat politique actuel, il est plus important que jamais d’appuyer le drag. Selon vous, quelle est l’importance du drag en termes d’activisme et de changement social ?

R : En cette période difficile, nous avons besoin de toutes sortes d’actions pour changer les mentalités, nous avons besoin d’actions cohérentes et persistantes. Quelle est l’importance duu drag en ce moment ? L’importance duu drag est cruciale. Il est important, non seulement pour les drag queens, mais pour tout le monde, d’avoir le courage et la force d’être qui nous sommes.

Je pense que le drag est très évident ; si une personne, comme moi, est habillée en drag queen, les personnes ont l’opportunité de me voir maquillé, et au moins une personne n’a probablement jamais vu quelqu’un d’habillé·e en drag queen et maquillé·e de cette façon. La visibilité du drag est très importante. Quand je quitte mon domicile pour aller me produire en spectacle, je rencontre souvent des voisin·es dans mon immeuble, alors il y a quelqu’un qui me voit maquillé ou complètement habillé en drag queen, et dans ces moments-là, je suis toujours amical parce que ça aide à construire des ponts entre les personnes. Je signe souvent mes courriels avec l’expression « Building Bridges » ou « Breaking Down Walls », alors je vais simplement continuer à construire des ponts entre les personnes et à démolir les murs et les préjugés. Je vous le dis ; je vis vraiment une vie épanouie. J’ai fait beaucoup de bonnes choses. J’aime mes enfants. Mais ça semble être une vie très centrée sur le spirituel, c’est très typique Brian. N’ai-je pas de la chance ? Je sais comment je vis et je sais que ce que je fais a une incidence sur tout le monde parce que le drag brise les murs et les préjugés.