Octobre 2023
Entrevue réalisée par Brittany Jakubiec
Celeste Pang, est docteure en anthropologie. Ses recherches, ses enseignements et son travail communautaire sont axés sur le vieillissement, le handicaps, l’accès et l’équité en matière de soins, avec un fort accent mis sur les enjeux 2SLGBTQIA+. Celeste occupe actuellement un poste de professeure adjointe en études sur les femmes et le genre à l’Université Mount Royal à Calgary, en Alberta.
Q : Pouvez-vous me parler du projet de recherche Bien vieillir et bien vivre pour les aîné·es LGBTQI au Canada et ses éléments clés?
R : Le projet de recherche Bien vieillir et bien vivre est lancé à partir des questions suivantes: « Que signifie “bien vieillir et bien vivre” pour les aîné·es LGBTQI au Canada? Et ça ressemblerait à quoi? Et quels sont les changements sociaux nécessaires pour permettre aux aîné·es LGBTQI de bien vivre et bien vieillir, selon leurs besoins ? »
Il s’agissait avant tout de comprendre comment les personnes LGBTQI elles-mêmes comprenaient le vieillissement et le bien-être, mais aussi de cerner les besoins de nos communautés pour bien vivre et bien vieillir. Quelles sont les situations de ces personnes? Que veulent-elles? À quels obstacles font-elles face?
Nous avons réalisé des entrevues avec 48 personnes s’identifiant comme aîné.es LGBTQI de 64 à 81 ans. Ce groupe comprenait des personnes d’une grande diversité d’identités et d’expressions de genre, de sexualités, de situations de logement, de niveaux de revenus et de milieux de vie (zones rurales et urbaines dans huit provinces différentes). Le rapport présente nos principales conclusions dans les domaines de l’emploi, du logement, des liens sociaux et de leur rupture, de l’accès aux soins de santé, ainsi que dans le domaine de la mort et du bien-être en fin de vie.
Q : Pourriez-vous m’en dire plus à propos des enjeux liés à l’emploi et des difficultés auxquelles nos communautés font face?
R : Les personnes queers et trans ont été confrontées et sont encore confrontées à la discrimination en matière d’emploi, au chômage et au sous-emploi, ainsi qu’aux inégalités économiques. Dans une société capitaliste, l’importance et la valeur d’une personne sont principalement reconnues à travers le prisme de l’emploi. Dans cette arène, on reproduit également les oppressions et les normes sociales discriminatoires qui comprennent la transphobie et l’homophobie, mais aussi le sexisme, l’âgisme et le capacitisme, entre autres formes croisées d’oppression.
Parmi les aîné·es LGBTQI que nous avons interrogé·es dans le cadre du projet Bien vieillir et bien vivre pour les aîné·es LGBTQI au Canada, un grand nombre avaient directement vécu les effets de la discrimination sur leurs lieux de travail antérieurs, notamment la discrimination basée sur l’identité qui était légale à l’époque. Même pour les participant·es n’ayant pas vécu de discrimination manifeste, la plupart étaient conscients du risque de discrimination fondée sur leur identité de genre, leur expression ou leur orientation sexuelle et avaient adapté leur vie professionnelle en conséquence. Ce sont ces expériences éprouvantes d’adaptation professionnelle et d’efforts pour conserver leur emploi qui ont accompagné les participant.es.
En outre, la discrimination anti-LGBTQI et la sanction sociale de celle-ci (ou son acceptabilité) ont eu des répercussions sur la situation financière des participant·es, et ce, jusque plus tard dans leur vie. Ce n’était pas le cas de tout le monde : un grand nombre d’aîné·es LGBTQI ont eu une carrière réussie et fructueuse. Les personnes qui ont connu une longue carrière ont souvent dû prendre des mesures (comme ne pas dévoiler leur identité, ou ne pas parler en détail de leur vie de famille) pour conserver leur emploi. Les autres personnes qui ont subi une discrimination directe ou occupé des emplois moins bien rémunérés sans régime de retraite ressentent cela financièrement à un âge plus avancé, vivent dans la pauvreté ou avec de faibles revenus fixes qui ne suffisent pas à payer le loyer ou à répondre à d’autres besoins essentiels. Pour s’en sortir, certaines cherchaient des petits boulots ou travaillaient occasionnellement. Il est essentiel de retracer la situation financière d’une personne aînée à ce qu’elle a vécu plus tôt dans sa vie, ainsi que de reconnaître la façon dont les différents systèmes et les structures sociales ont un affect sur le bien-être économique des personnes 2SLGBTQIA+ et des autres.
Q : Quelles sont les recommandations que vous souhaiteriez faire pour permettre aux aîné·es LGBTQI de bien vieillir et bien vivre?
R : Il y en a tellement! Lorsqu’il s’agit d’aborder les inégalités économiques, l’une de nos grosses recommandations concerne l’adoption de mesures immédiates pour mettre fin à la crise du logement, l’augmentation du nombre de logements abordables et l’augmentation des programmes financiers visant à aider les aîné·es et les personnes handicapées à conserver leur logement et/ou le rendre accessible. En matière d’appartenance sociale et de mesures collectives, le renforcement des liens intergénérationnels constitue une autre recommandation, mais aussi la lutte active contre l’âgisme et le capacitisme qui sévissent au sein de nos communautés. Les aîné·es LGBTQI que nous avons interrogé·es ont décrit le « bien-être » de différentes manières, mais parmi les dénominateurs communs, notons l’accès à un logement abordable, vivre dans un environnement sécuritaire, avoir un réseau social et communautaire solide et avoir accès aux soins de santé en cas de nécessité. Ces préoccupations sont également partagées par les jeunes 2SLGBTQIA+. Nous pourrions converger autour de ces enjeux et priorités communes.
Q : Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
R : En ce moment, mon projet de recherche principal est axé sur les enjeux liés à la capacité, au consentement et à la prise de décision au nom d’autrui chez les personnes qui affrontent seules leur trouble neurocognitif. Cela signifie que les personnes « seules » (y compris les aîné·es 2SLGBTQIA+) dans le sens où elles n’ont pas de membres de la famille ou de proches, ou « seules » dans le sens où elles ne connaissent aucune personne fiable à qui elles pourraient faire confiance et sur qui elles pourraient s’appuyer. C’est très important quand nos systèmes sont établis autour du concept de la famille nucléaire hétéronormative et de l’idée que les membres de cette famille seront là pour prodiguer des soins et jouer le rôle de mandataire spécial·e. Mes questions de recherche sont les suivantes : Comment les personnes qui ne sont pas des membres de la famille ou des proches deviennent-elles mandataires spéciales pour les personnes qui affrontent seules un trouble neurocognitif? Comment les idées concernant le consentement, la capacité et la prise de décision affectent-elles ces personnes et celles qui ne sont pas des membres de la famille ou des proches qui deviennent mandataires spéciaux·ales?
Je recrute actuellement des participant·es dans le cadre de ce projet, notamment des personnes vivant en Ontario et en Alberta qui (a) font face seules à un trouble neurocognitif; (b) sont des travailleur·euses de la santé, des services sociaux ou d’autres professionnel·les ayant essayé de mettre en relation des client·es adultes avec un·e mandataire spécial·e; et/ou (c) qui ne font pas partie de la famille proche ou des proches, mais qui ont soutenu ou joué le rôle de mandataire spécial·e pour une personne vivant avec un trouble neurocognitif. Pour en savoir plus sur ce projet, cliquez sur le lien suivant : https://celestepang.ca/stranger-than-family/
Q : Pouvez-vous nous parler d’une initiative ou d’une collaboration récente qui vous passionne?
R : Absolument! Comme vous le savez, j’occupe depuis peu le poste de professeure adjointe à l’Université Mount Royal. J’ai donc la chance d’enseigner de nouveaux cours à des étudiant·es de premier cycle, notamment axés sur la santé des personnes 2SLGBTQIA+, mais aussi de rencontrer de nouvelles personnes de toute l’université. Avec ma collègue Corinne Mason, nous avons créé un nouveau pôle de recherche appelé QriTical: queer + trans research hub (en anglais). Notre intention est qu’il servira d’un espace communautaire où le corps enseignant de la MRU, le personnel, les étudiant·es et la communauté au sens large pourront échanger et tisser des liens. J’ai hâte de voir le résultat.
Q : Quelles ressources recommanderiez-vous?
R : Consultez les recherches et les ressources présentes sur le site du Centre national de ressources sur le vieillissement 2SLGBTQI! Pour ce qui est des réflexions générales sur le sujet « bien vieillir et bien vivre » et sur la manière de permettre aux aîné·es 2SLGBTQIA+ les moyens de les mettre en pratique, je recommande aussi de vous inspirer du nouveau roman de Catherine Hernandez, The Story of Us (en anglais), qui met en scène la dynamique de soins entre une préposée aux services du soutien à la personne, une femme trans vivant avec un trouble neurocognitif, leurs familles et leurs communautés.